Les Croyances du Conditionnement.
Extrait de « Mémoire d’un Moraliste » écrit par Théodule Branche et paru dans la revue Les Forces Mentales en 1907.
Je suis un moraliste. J’ai fait de la morale l’étude principale de ma vie, et je me suis efforcé en toutes circonstances de mettre mes actes en rapport avec les principes moraux reconnus et acceptés par ma conscience. Je ne puis affirmer que cela m’ait toujours réussi, mais je ne regrette rien.
Je suis un moraliste, et je puis dire que je l’ai toujours été, ou presque. C’est vers l’âge de sept ans que se dessina ma vocation.
On accueillera sans doute cette assertion avec un sourire d’incrédulité. Peu m’importe ! Les incrédulités des hommes sont souvent aussi peu justifiées que leurs croyances. On croit ou on nie par tempérament plutôt que par raisonnement.
Les uns se plient docilement aux opinions de leur milieu, les autres se révoltent contre un pareil assujettissement et se jettent dans une outrancière contradiction.
Mais tous, en réalité, ont des croyances préconçues, c’est-à-dire des croyances dont ils n’ont pas vérifié l’exactitude à la lumière de leur raison.
Il est difficile d’ailleurs qu’il en soit autrement.
Le nombre des faits est infini dans le temps et dans l’espace, et l’existence, si longue qu’on puisse la supposer, ne suffirait pas à leur étude approfondie. Force est donc de s’en rapporter le plus souvent au témoignage d’autrui.
Les astronomes disent que la terre est ronde, qu’elle tourne autour du soleil, que la lune tourne autour d’elle ; ils nous racontent la surprenante genèse de notre planète avec autant d’assurance que s’ils y avaient assisté en personne ; ils donnent de ces phénomènes des explications savamment, ingénieusement, clairement combinées, et tout cela prend dans leur bouche, ou sous leur plume un air de réalité. Puis-je recommencer à mon tour leurs patientes études, refaire leurs expériences, réédifier leurs colossaux calculs ?
Ma seule existence y suffirait-elle ?
Mon cerveau en serait-il capable ?
De quoi vivrais-je pendant ce temps ?
Et si je me livrais à ce travail gigantesque pour l’astronomie, ne faudrait-il pas aussi l’entreprendre pour la chimie, pour la physique, pour les autres sciences naturelles ?
Pour l’histoire, pour la géographie ? Irai-je m’assurer que Pékin est bien au point indiqué sur les cartes de la Chine ?
Et ne faudra-t-il pas visiter aussi les frontières de cet immense empire, si je ne veux point me fier aux témoignages des géographes et des voyageurs ?
Pourquoi chercher d’autres exemples ? L’évidence crève les yeux.
Nos connaissances, et par elles nos opinions, nos convictions, ont pour base la croyance aux affirmations d’autrui.
Sachant fort peu de choses par nous-mêmes, nous acceptons, sans contrôle, comme vérités les opinions ambiantes autour de nous.
Les cerveaux très puissants, très énergiques, arrivent parfois à se soustraire dans une mesure restreinte à cette servitude intellectuelle. Lorsqu’une opinion courante est en contradiction avec la science ou la logique, ils la scrutent de près, ils en découvrent parfois la fausseté, et sur un point déterminé ils arrivent à se faire une opinion raisonnée et vérifiée.
Mais les intelligences moyennes ou faibles prennent l’habitude de se plier sans discussion à l’opinion générale.
À force d’accepter, sans contrôle personnel, toutes les affirmations qui leur sont apportées, les cerveaux en arrivent à accueillir sans broncher les bourdes les plus invraisemblables.
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